May Queen fixa d'un regard neutre son interlocuteur, un gros Twi'lek à la peau rose et visiblement défoncé de longue date au Ryll, dans l'attente de sa réponse.
Autour d'eux s'étendait une grande terrasse de pierre sale. Entre eux, les restes d'un repas auquel ils n'avaient presque pas touché.
Le Twi'lek passa la langue sur ses lèvres charnues et dit:
"Evidemment, je conçois votre position... mais vous devez comprendre que nous ne pouvons tolérer plus longtemps les agissements de la racaille Rodienne sur notre propre planète."
De part et d'autre de l'étrange duo retentit le bruit d'une dizaine de blasters qu'on arme. Au cas où je ne l'aurais pas précisé, derrière chacun des deux protagonistes s'alignait un certain nombre de gardes du corps armés. L'un de ces groupes était entièrement constitué de Rodiens très énervés.
May Queen leva la main en un signe d'apaisement et but une gorgée de son Vin de Cendres avec un air de connaisseur.
- Bien, dit-elle. J'ai réussi à convaincre mes employeurs de fermer les yeux sur la dette de votre frère. En échange, ils demandent à ce que votre clan reste à l'écart de leurs affaires.
Le Twi'lek eut l'air indigné.
- Nous avons bâti notre fortune sur les casinos de la planète depuis sept générations. Mon frère a été idiot d'aller risquer son argent dans celui d'un concurrent. Le véritable problème, voyez-vous, c'est que de nombreuses accusations de tricherie me sont parvenues concernant les établissements rodiens. Qu'ils parasitent le marché est une chose, mais qu'ils souillent la réputation du quartier, et à plus forte raison de nos casinos, c'en est une autre. Cette affaire est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase! Dites à vos employeurs que s'ils ne quittent pas les lieux dans la semaine, nous nous verrons au regret de prendre les choses en main.
Le sourire de Mai se figea.
- Allons... le clan rodien a investi énormément dans les infrastructures de ce quartier. Vous qui êtes un véritable homme d'affaires devez savoir que déménager maintenant serait désastreux!
- Je ne veux pas le savoir. Ces lieux (il embrassa d'un geste les rues qu'on pouvait voir en contrebas) nous appartiennent, et certains vont l'apprendre à leurs dépens!
La tension dans l'air était presque palpable. Fronçant les sourcils, May sortit de sa poche un petit sachet d'où glissèrent quelques gemmes aux couleurs chatoyantes.
- Je crois que vous n'avez pas bien saisi. Mes employeurs souhaiteraient que cette affaire se règle sans violence. Une guerre de clans risquerait de diminuer l'afflux de touristes dans Fi'ij Dan, ce qui se répercuterait forcément sur votre chiffre d'affaire. En conséquence, ils s'estiment prêts en dernier recours à vous verser un pourcentage de...
Mais le Twi'lek s'était déjà levé. D'un geste, il saisit le sachet de gemmes. Dans ses yeux brûlaient tous les feux de la drogue.
"Comment? Comment? Je vous parle d'honneur et de tradition, et vous venez m'acheter? Cette discussion est inutile. Mon opinion est faite. Si les Rodiens veulent la guerre, ils l'auront!"
May eut juste le temps de plonger sous la table avant que les premières rafales de blaster déchirent l'air. Un choc sourd: le porte-paroles Twi'lek s'était effondré sur le sol, touché de plein fouet par un tir de laser.
Mafieux des deux camps s'étaient retranchés derrière les tables, chaises et caisses qu'on avait entreposées sur la périphérie de la terrasse et se livraient à un réglement de comptes en duel. May jura. Quel contrat pourri! Et dire qu'ils ne l'avaient même pas payée d'avance...
Soudain, les tirs cessèrent: les truands rechargeaient. Profitant de l'accalmie providentielle, la jeune femme courut jusqu'au rebord. Vu d'ici, le sol lui paraissait affreusement lointain.
Un tir vint creuser un cratère fumant à ses pieds: la bataille reprenait de plus belle.
May serra les lèvres, respira à fond, et se jeta dans le vide.